Ce beau garçon de 25 ans, réfugié politique en France, n’est pas musulman. Ou plutôt, il ne l’est plus. Après des années passées à étudier, seul, la théologie, l’histoire et les penseurs arabes, il a conclu que les religions ont été inventées pour servir des intérêts politiques et que l’athéisme est la seule solution raisonnable pour un esprit éclairé. Quand on a été bercé par l’Education nationale et le catéchisme, cela semble aussi évident qu’inoffensif. Mais quand on est né à Qalqilya, bourgade de Cisjordanie, cela amène les pires ennuis.
Dans son autobiographie publiée une semaine après l’attaque de Charlie Hebdo, sous le titre un brin racoleur Blasphémateur ! Les prisons d’Allah, il écrit que «l’islam n’est pas une religion divine, le Coran n’est pas un livre sacré et Mahomet n’est pas un prophète». Allah y est rhabillé pour l’hiver :«Une invention bédouine, un homme simple, attardé, mesquin, criminel, rancunier.» Il y compare la société islamiste au fascisme, affirme que «les religieux endorment avec leur slogan, "l’islam, c’est la paix, le pardon et la miséricorde" alors que c’est la religion du jihad contre tous». Il dénonce la violence faite aux femmes, aux juifs ou aux chrétiens.
Lorsque, étudiant, il a annoncé à ses amis de l’université arabo-américaine de Zababda, lors d’une soirée arrosée, qu’il était devenu athée, le vide s’est fait autour de lui. Terrorisé par la violence de leur réaction, il aurait pu reculer, et garder pour lui ses réflexions. Mais il «refuse d’être hypocrite»,s’acharne à étudier le Coran pour mieux piéger ses adversaires, continue à alimenter clandestinement son blog et une page satirique sur Internet tout en aidant son père au salon de coiffure.
Il est emprisonné en 2010. L’Autorité palestinienne lui reproche son apostasie alors que la Constitution locale garantit, théoriquement, la liberté d’expression, et de croyance. Il a 21 ans, et ni les persécutions ni les menaces ne le font renoncer à ses convictions. Son procès reporté une énième fois, il est libéré, et se résoud à quitter Qalqilya. Il est encore amer du «silence de mort» des organisations des droits de l’homme en Palestine pendant sa détention arbitraire.
Il s’enfuit, en 2012, par la Jordanie, évitant le territoire israélien par crainte de conforter les adeptes du complot occidental. Comme tout opposant palestinien, il est accusé d’être un agent du Mossad, lui qui souhaite la fin des hostilités entre les deux peuples. La France lui offre, en quelques jours, le statut de réfugié politique. Il s’arrache définitivement à l’affection et aux petits plats de sa dévote mère, à ses sept petits frères et sœurs, nés en rafale après lui : «Ils n’obtiendront jamais de passeport, ce serait vu comme une tentative de fuite pour rejoindre le "mécréant".» Ils lui racontent que, pour se protéger, ils ont redoublé d’ardeur à la mosquée, mais qu’ils le soutiennent dans leur cœur. Pourtant, sa page Wikipédia affirme que sa mère voudrait le voir en prison. «Il paraît aussi que je fais de la magie noire ! Je suis habitué à ces conneries, même si elles font mal.» L’Autorité palestinienne a même inventé des excuses en son nom sur la page d’accueil de son blog. «Internet sera la tombe des religions, prédit-il. Mais en attendant, c’est une arme à double tranchant.»
Baskets noirs, jean noir, chemise noire, assortis à sa chevelure de jais, Waleed sourit timidement, évacue sa tristesse d’un geste de la main. Sa douceur, son calme impressionnent. Ses amis décrivent tous un garçon courageux, modeste, généreux et drôle, «un des rares à se battre pour l’égalité hommes-femmes». Ses ennemis se taisent.
Son livre terminé, Waleed al-Husseini espère trouver du travail dans son domaine, l’informatique et les nouvelles technologies. En attendant, il vit du RSA, est hébergé par une amie en dehors de Paris, coupe les cheveux de ses copains, aime discuter des soirées entières, alimente les réseaux sociaux. Célibataire, il se définit comme «aventurier» de l’amour, «fondamentalement hétéro» mais ne fixant aucune limite à la liberté sexuelle. «Je milite pour la Gay Pride. Ils font ce qu’ils veulent, tant qu’ils ne me touchent pas !»
Sur sa page Facebook «Proud to be Atheist», il suit les Femen, s’amuse avec la maxime «Si la religion mérite qu’on tue pour elle, commencez par vous-même», et, bien sûr, reproduit les caricatures de Mahomet de Charlie Hebdo. En 2013, il a fondé, sur les modèles anglais et allemand, le Conseil des ex-musulmans de France, qui se réfère au chevalier de La Barre, exécuté en 1766 pour avoir refusé de soulever son chapeau devant une procession religieuse. Aline Le Bail-Kremer, militante de SOS Racisme, a été impressionnée par sa maturité politique quand, voyant l’extrême droite se lécher les babines, il a rappelé qu’il ne combattait que les dogmes et les leaders religieux, et qu’on ne pourrait pas se servir de lui «pour taper sur les musulmans».
N’a-t-il pas peur, par les mauvais temps qui courent, quand les appels à la décapitation des mécréants se succèdent depuis la Syrie, d’afficher sa photo en couverture ? Non. C’est pour la France qu’il s’inquiète. Cette France qui l’a accueilli, où il se sent enfin chez lui - bien qu’il «bloque» en français et qu’il évite Barbès depuis la sortie de son livre. Il vient de publier deux tribunes, dans le Monde et Libé, appelant les musulmans de France à«prouver qu’ils sont intégrables». Il répète que la laïcité est en danger, qu’elle ne doit jamais s’adapter aux exigences des religieux, que les jihadistes utilisent la démocratie pour mieux la gangrener. Il accuse le Conseil français du culte musulman (CFCM) d’être «obscurantiste et rétrograde, de soutenir indirectement le terrorisme». Il est choqué que le rappeur Médine, qui dans un clip parle de «crucifier les laïcards», ait été invité par l’Institut du monde arabe.
Waleed se sent-il menacé en France ? Une fatwa a-t-elle été lancée contre lui ? «Non, heureusement. Grâce à Dieu !» ajoute-t-il en rigolant. Le traducteur raconte que lors d’une interview télé, donnée dans un restaurant libanais de Paris, l’établissement a demandé de décrocher des tableaux qui auraient permis d’identifier l’endroit. On demande au patron du Bois d’acacia si lui aussi est gêné d’accueillir un renégat : «Au contraire, c’est un honneur !»Waleed al-Husseini n’a-t-il pas peur de craquer avec tant de pression sur ses jeunes épaules ? Il répond, sans trembler : «Quand ils me tueront, je m’effondrerai. Pas avant.»
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