par Les Inrocks.com
Blogueur palestinien athée réfugié en France, Waleed Al-Husseini a connu l’emprisonnement en Cisjordanie pour avoir renié l’islam et l’avoir critiqué sur Internet. Portrait.
Le jeune homme aux cheveux longs et aux yeux sombres commande un café noir et enchaîne les cigarettes. Des volutes de fumée accompagnent ses gestes tandis qu’il raconte, mi-soucieux mi-amusé : “Mon compte Facebook a été suspendu. Des gens ont signalé mon profil pour le bloquer. J’ai l’habitude, ça m’est arrivé tellement de fois !”. A première vue, Waleed Al-Husseini, traits harmonieux et apparence soignée, n’a pas la dégaine du subversif. Mais ce jeune Palestinien de 25 ans a fait le choix de devenir athée au sortir de l’adolescence et de publier ses réflexions sur l’islam sur des blogs et les réseaux sociaux.
Dans cet Etat palestinien qu’il croyait laïc, l’apostasie n’est pas vue d’un bon œil et ses positions le précipiteront en prison puis sur le chemin de l’exil vers la France. Il en a tiré un livre, Blasphémateur ! Les prisons d’Allah, où se mêlent son récit personnel, ses réflexions très critiques envers une religion qu’il considère violente, et son engagement en faveur des droits de l’Homme et la laïcité. Son traducteur confie :
“Il a vécu en très peu de temps ce qu’un être humain normal veut essayer d’éviter dans toute sa vie. Waleed est quelqu’un qui veut transmettre un message, quels que soient les risques. Il y a là un peu d’insouciance, sûrement liée à sa jeunesse. Je pense aussi qu’il a une revanche à prendre sur la vie qui a longtemps été un enfer pour lui”.
Activiste et “mécréant”
Originaire de Qalqilya en Cisjordanie, Waleed Al-Husseini vient d’une famille pratiquante plutôt favorisée qui lui offre l’opportunité d’aller à l’université. Il étudie l’informatique, avant de se tourner vers l’enseignement puis de travailler dans une banque. “J’avais une vie plutôt normale”, concède-t-il, “parfois je l’appréciais, parfois non. Je me posais beaucoup de questions sur Dieu et je ne pouvais en parler à personne”. Il s’interroge sur l’islam dès son adolescence, étudie le sujet à fond en se rendant à la bibliothèque publique puis en surfant sur internet. Ce qu’il trouve le convainc, il devient un apostat :
“J’ai choisi d’être athée car j’ai senti que l’islam n’était pas compatible avec la démocratie et les droits de l’Homme. On dit que l’islam est une religion de paix, mais c’est faux. Le Coran a deux facettes : une douce, celle de la Mecque, car Mahomet à ce moment-là était faible. Et une très dure, celle de Médine, où le prophète et ses fidèles prennent le pouvoir et commettent des tueries. Les djihadistes et les extrémistes utilisent cette violence”.
Son opinion plus que tranchée et radicale sur l’islam, il commence à la partager sur des blogs et des réseaux sociaux en 2007: “Je sentais que dans ma vie quotidienne, je ne pouvais pas exprimer mon athéisme en public à cause d’une pression de la société et du gouvernement. Mais je voulais être moi-même donc j’ai commencé à écrire sur l’athéisme sur internet”. Il crée un groupe Facebook et un blog, La voie de la raison, le premier qui traite ainsi de l’islam. Il écrit ainsi sous pseudonymes pendant trois ans, conscient que ce qu’il publie pourrait lui attirer des problèmes, connaît une certaine audience, reçoit des menaces. Trahi par ses adresses IP, il est cueilli le 2 novembre 2010 dans un cybercafé par les services de renseignements palestiniens.
Emprisonné, torturé, exilé
Commence une détention illégale de dix mois, ponctuée de mauvais traitements et de tortures: “Je devais rester debout immobile pendant des heures, ou encore on me faisait me tenir pieds nus sur des sortes de petites boites de conserve, puis courir dans le couloir pour que les marques disparaissent”. Que lui reprochaient les autorités ? Il résume, une énième cigarette à la main : “Pour eux, j’étais coupable d’avoir critiqué Allah, insulté le sentiment religieux des musulmans et par cela, d’avoir menacé la sécurité de la Palestine”. Apparemment un jeune athée d’une vingtaine d’années serait capable de déstabiliser tout un pays, voire l’islam en entier, par des articles publiés sur internet.
“Je pensais vivre dans un Etat laïc, où j’avais la liberté de m’exprimer. Il n’en est rien, c’est une dictature : la justice n’existe pas, pas plus que la liberté d’expression ou de pensée. Il est impossible d’être athée dans les pays arabes, on nous prend pour des gens malades, stupides et immoraux”.
Un simulacre de procès s’engage devant un tribunal militaire, aux ajournements multiples. Il finit par être libéré pour l’Aïd en attendant une nouvelle reprise de son procès. Mais il lui est interdit de contacter ses amis ou de quitter le territoire, doit se rendre chaque matin au commissariat, et est arrêté plusieurs fois. Sans compter les insultes, les rumeurs et la mise à l’écart que subisse sa famille. La vie à Qalqilya n’est plus possible pour lui, il décide de prendre la fuite : “Je suis parti en Jordanie et de là-bas j’ai initié les démarches pour obtenir un visa de réfugié politique en France”.
Réfugié et militant
Dans le “pays des droits de l’Homme”, il se mobilise pour la laïcité, “en danger” selon lui, et crée le “Conseil des ex-musulmans de France“. Il explique : “Nous nous mobilisons pour la laïcité, les droits de l’Homme et le vivre ensemble. Nous voulons être une voix pour les anciens musulmans, pour leur dire qu’ils ne sont pas seuls”. A propos de son livre – sorti une semaine après l’attaque sanglante de Charlie Hebdo – et de sa posture d’ex-musulman très critique envers l’islam, a-t-il reçu des menaces ? Il répond qu’il a l’habitude mais que cela fait un moment déjà qu’il ne se rend plus dans le nord de Paris. Et concernant une éventuelle récupération de ses propos par l’extrême-droite, il est sans équivoque :“Moi, je me bats pour la liberté et les droits de l’Homme, eux ne sont motivés que par le racisme. Je n’ai aucun souci avec ceux qui pratiquent leur religion dans l’intimité”.
Mais alors, qu’est-ce qui ne va pas avec l’islam ? “Son problème est qu’il n’est pas flexible, il n’y a pas encore eu de prise de distance par rapport aux textes”. Selon lui, il est important de le critiquer afin de le réformer et de le rendre compatible avec les lois républicaines, mais aussi “car c’est le moyen de gagner notre liberté”. Liberté d’expression, liberté de conscience, mais également liberté politique dans des pays arabes où l’islam est la religion officielle et le Coran source de loi. Libre, Waleed l’est en France, mais retourner à Qalqilya lui est impossible: il a été condamné par contumace à 7 ans et demi de prison. Il ignore si et quand il reverra sa famille. Quels sont ses projets ? Apprendre à mieux parler français,“peut-être demander la nationalité”. Et continuer à militer sur Internet, n’en déplaise à ses détracteurs qui tentent de bloquer son profil Facebook. Il en est certain et il l’écrit, Internet sera la tombe des religions.
Mathilde Sagaire
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