Non, l'islamophobie n'est pas un racisme
Dans Le Devoir du 5 novembre dernier, Paul Eid a répliqué à Rachad Antonius à propos du concept d'islamophobie. Il s'est offusqué de l'accusation que ce dernier a adressée aux progressistes
de ne pas bien réagir à la montée du fondamentalisme islamiste.
L'argumentaire de M. Eid se révèle cependant inconsistant et
sophistique, son défaut fondamental étant d'absolutiser la défense de la
minorité musulmane en Occident jusqu'à détourner les yeux de la réalité
socio-politique et religieuse.
Paul Eid clame que l'islamophobie
est un racisme. Le mot renvoie pourtant à une hostilité vis-à-vis d'une
doctrine religieuse, et non à l'endroit d'une race, d'une ethnie.
L'islamophobie peut être vue comme une forme de résistance à l'influence
de l'islam dans les affaires publiques. S'opposer à une religion n'a en
soi rien de répréhensible. Cela relève au contraire de la liberté
d'expression que de pouvoir critiquer et même de rejeter un système de
pensée, qu'il soit philosophique, économique, politique ou religieux.
Pour désigner des actes discriminatoires envers les adeptes de l'islam,
il conviendrait de recourir plutôt au mot antimusulman, qui distingue la religion islamique des personnes qui la pratiquent.
Paul
Eid évoque de «nombreuses études» (non citées) qui démontreraient «une
nette recrudescence de la discrimination et des préjugés négatifs à
l'endroit des musulmans».
Cette assertion mériterait d'être
nuancée. Les données recueillies par Statistique Canada sur les méfaits
haineux commis de 2006 à 2013 indiquent que les musulmans ne sont pas
victimes d'une aversion particulièrement répandue au Québec et au
Canada. Les catégories les plus discriminées (de trois à cinq fois plus
que les musulmans) sont dans l'ordre les Noirs, les juifs et les
homosexuels.
Par ailleurs, il faut traiter les chiffres avancés
par certaines associations islamiques avec beaucoup de prudence, car ils
ne sont pas tous crédibles, notamment ceux du Collectif contre
l'islamophobie en France, dont les méthodes douteuses ont été dévoilées
par la journaliste Isabelle Kersimon (Islamophobie : la contre-enquête, Éd. Plein Jour, 2014).
Il convient certes de combattre toute discrimination et de s'assurer que les musulmans bénéficient des mêmes droits que les autres citoyens. Mais ce n'est pas en brandissant le concept trompeur d'islamophobie qu'on pourra favoriser leur intégration.
M.
Eid donne l'impression que la discrimination envers les musulmans
constituerait un terrible fléau du monde contemporain. Notre auteur n'a
pas un sens très aigu des proportions. Les événements qu'on peut
qualifier d'antimusulmans ne correspondent en général qu'à des paroles
offensantes, à des graffitis, à des têtes de cochon déposées devant une
mosquée, à des dommages infligés à des immeubles. Rien de comparable à
la violence du terrorisme djihadiste, à la barbarie meurtrière des
attentats islamistes du 11 septembre, de Sousse, du Bataclan, de Nice,
qui mettent en péril la paix mondiale et la civilisation.
Le
professeur Eid lie le «racisme islamophobe» à la diffusion d'une image
réductrice et radicale de l'islam et des musulmans. Cette
essentialisation effacerait la diversité individuelle et la pluralité
culturelle des peuples musulmans pour les enfermer dans des
caractéristiques stéréotypées et discriminatoires. M. Eid souffre du
même défaut que celui qu'il dénonce. Jamais il n'évoque l'islam en
fonction de ses dogmes et de ses coutumes spécifiques. Il appréhende au
contraire cette religion de façon toujours abstraite, comme une
étiquette vide nommant simplement une communauté.
Or, afin de
voir si cette religion est compatible avec les valeurs démocratiques, il
importe de faire la critique de sa doctrine, de ses textes de
référence, de ses règles de vie, de ses rituels au lieu de l'accepter
d'emblée. Notre auteur minimise l'impact social que peuvent avoir les
religions. Pourtant, celles-ci exercent depuis toujours un rôle
déterminant dans les conceptions et les conduites humaines. Comment ne
pas s'inquiéter devant les nombreux versets sectaires et haineux du
Coran, comment ne pas rejeter la multitude d'hadiths aberrants de la
sunna, comment ne pas condamner l'image du prophète armé Mahomet,
comment ne pas déplorer le sexisme et l'homophobie sévissant dans
l'ensemble des pays islamiques? Soulever ces questions légitimes est
devenu dorénavant entaché d'islamophobie et provoque même la méfiance.
Le
vil Occident aurait construit une partition manichéenne des musulmans
en les répartissant entre «séculiers irréprochables» et «pratiquants
suspects». Serait-il donc blâmable d'appuyer les réformistes de l'islam
comme Abdennour Bidar dans leurs efforts pour tenter d'adapter cette
religion à la modernité?
À propos des musulmans pratiquants, il
existe bel et bien des données d'enquête qui soulèvent des inquiétudes
légitimes, comme celles du Pew Research Center (2013) sur 39 pays
islamiques et du WZB Berlin Social Center (2013) sur six pays européens.
Ces enquêtes révèlent en effet que la majorité des fidèles de l'islam,
qu'ils proviennent de l'espace musulman ou de sa diaspora, placent la
charia au-dessus de toutes les lois civiles, la considérant comme issue
de la volonté divine malgré son caractère éminemment inéquitable et
cruel.
M. Eid termine son texte en exhortant la majorité à se
défaire de ses préjugés, sans apercevoir qu'il nourrit lui-même un parti
pris idéologique. Son présupposé est que la majorité est toujours
oppressive et que les minorités sont forcément victimes de ses abus et
qu'elles doivent en conséquence être protégées inconditionnellement.
L'Autre devrait être accueilli sans réserve comme si ses opinions et ses
modes de vie ne pouvaient pas être remis en question, comme si
l'altérité était à l'abri de toute imperfection. Une minorité immigrante
où sont perpétués des abus comme les mariages forcés et les crimes
d'honneur ne devrait donc pas être interpellée?
Il convient certes
de combattre toute discrimination et de s'assurer que les musulmans
bénéficient des mêmes droits que les autres citoyens. Mais ce n'est pas
en brandissant le concept trompeur d'islamophobie qu'on pourra favoriser
leur intégration.
Au contraire, cette forme d'accusation
ambiguë, en victimisant les musulmans, ne peut que les entraîner dans la
suspicion et le repli identitaire. De plus, en amalgamant la critique
de la religion au racisme, le concept d'islamophobie risque de rétablir
le délit de blasphème et de tuer ainsi la liberté d'expression en
matière religieuse.
Ce billet est cosigné par Karim Akouche,
Waleed Al-husseini, Jérôme Blanchet-Gravel, Éric Debroise et Claude
Simard, collaborateurs pour l'ouvrage L'islamophobie aux Éditions Dialogue Nord-Sud, 2016.
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